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Août 1997 Nº11 Ed. resp. : E. J. Crema IIème rencontre pour l'Humanité et contre le néolibéralisme Après la première rencontre qui s'est tenue au Mexique, cette deuxième rencontre a eu lieu en Espagne du 28 juillet au 4 août. Une délégation formée de 12 personnes membres de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a ouvert la rencontre à Madrid. Le visage couvert, dans une intense émotion, devant plusieurs milliers de militants venus du monde entier, deux d'entre eux, Dalia et Felipe, ont expliqué le message qu'ils apportaient depuis la jungle du sud-est mexicain :"Nous ne voulons plus d'un monde sans nous. Nous luttons pour la démocratie, la liberté, et la justice pour notre peuple. Le gouvernement mexicain n'a pas respecté les accords de San Andres, ces accords sont donc un échec total. Pour le gouvernement nous n'existons pas. Quand nous luttions pacifiquement, ils ne nous ont pas écoutés, nous avons pris les armes et nous avons négocié un accord avec le gouvernement. Mais ils ne respectent pas l'accord qu'ils passent. Ils ne négocient que pour gagner du temps, nous ne continuerons donc pas à dialoguer, car c'est une ruse de la part du gouvernement. C'est tout". Ensuite, l'ensemble de la délégation, accompagnée par la présidente du comité Eureka, Rosario Ibarra, a rejoint San Sebastian de Los Reyes pour discuter avec les représentants des peuples opprimés des cinq continents des luttes respectives d'émancipation. Plus de 2'500 militants s'y sont retrouvés, répartis en plusieurs sièges, en général des maisons occupées par les mouvements squatters de Madrid, et notamment au centre social El Laboratorio, Lavapies et Embajadores 68, où s'est tenu le débat sur les économies alternatives. 50 délégués de 14 états différents ont présenté des expériences de résistances. Pour le Nicaragua, expérience de la coopérative Unapa; pour la France, la Banque du temps; pour l'Italie, l'expérience des centres sociaux du Leon Cavallo, de boutiques éco-solidaires; a eu lieu également la dénonciation de la politique du F.M.I. et de la Banque Mondiale des mesures structurales qui imposent l'austérité absolue à des pays comme le Cameroun. Les discussions étaient faites sur présentation de propositions écrites ou orales; afin de pouvoir débattre, les participants s'étaient divisés en blocs. Chaque bloc choisissait ses points de débats. Au bloc ID, des représentants d'Autriche, d'Allemagne, de France, d'Italie, de Belgique, d'Amérique Latine et autre, ont discuté des formes de vie au-delà du marché, ou autrement dit comment combattre l'exploitation et l'exclusion. Il a beaucoup été question de la création de coopératives de production et de distribution de marchandises, mais aussi d'informations et d'auto-organisation. Le débat était d'une richesse énorme zigzaguant entre des positions très théoriques et les échanges d'adresses. Il y avait un accord global sur le fait que nous vivons dans une crise qui va au-delà d'une crise économique, et qui met en question le concept même de travail, qui touche donc à une transformation profonde de relations sociales et qui atteint la conscience de chacun. A la globalisation de la domination mondiale par un groupe de multinationales, il n'y a que de petites luttes partiales qui y répondent, et elles ne sont pas forcément reliées entre elles. Il s'agit donc de reprendre l'idée d'autogestion au niveau local, mais il est nécessaire qu'un effort d'organisation global soit fait, ceci est vital. La critique vis-à-vis de la gauche parlementaire, qui ne comprend pas ou très mal que de plus en plus de gens ne se sentent pas représentés dans ses institutions, revenait dans tous les débats. Et de nouvelles structures d'auto-organisations comme alternative étaient avancées et souhaitées. Structures pouvant être des coopératives d'alimentation ou d'habillement, de transports, de radios, de presse écrite, voire même de télévision. Un grand nombre de participants avançaient l'idée que, face à un capital très internationalisé et brisant toutes les structures même les Etats les plus puissants, seules des nouvelles structures permettront aux laissés-pour-compte des chances de survie. Et ces structures devront être aussi globales que possible. Une des conclusions a été de reconnaître que la lutte est la même pour tous, car il y a un seul ennemi, qui est le même pour tous, le néolibéralisme. Mais que le néolibéralisme produit des différences régionales. Les luttes européennes apparaissent comme un luxe aux délégués mexicains. En même temps, ils reconnaissaient être surpris de constater qu'en Europe, de plus en plus de gens luttent pour une survie physique. La lutte dans ce cas peut avoir de nombreux points en commun. Les gitans espagnols faisaient remarquer qu'il n'y a aucune différence entre les occupations de logement menées en Europe et les luttes qu'ils doivent mener depuis des siècles pour survivre. D'autres ont présenté une critique des luttes menées ces dernières années en Europe sous les structures de coordination. Car ces luttes ne faisaient, selon eux, que répondre à des luttes dont les multinationales choisissaient l'espace et le temps. Les mouvements populaires s'épuisaient donc à répondre à des attaques dont l'adversaire avait choisi les lieux, l'heure et les moyens. Il ne fallait donc pas s'attendre à des victoires. Exemple, les mouvements antinucléaires, la campagne anti-Maastricht, le chômage. Un effort a été demandé aux cadres dirigeants de ces luttes passées de tirer les conséquences de leur défaite et d'essayer de faire un effort pour imaginer d'autres formes de résistance. La forme "parti" a été considérée comme archéologique, car il n'y a plus que des gens payés pour faire une certaine politique, qui est de plus en plus hostile à la majorité de la population. Peut-être cette forme correspondait à une certaine phase des démocraties industrielles, mais semble dépassée. Il ne s'agit donc pas de détruire pour détruire les structures politiques existantes, mais de reconnaître qu'elles sont dépassées, d'assumer les paradoxes, le casse-tête, de reconnaître que la notion de classe ouvrière qui a animé plusieurs générations de militants anticapitalistes a éclaté, que l'ouvrier s'il existe encore n'existe plus comme sujet politique, et que la prolétarisation est la seule condition commune de toutes les singularités de masse de cette fin de siècle. Il ne s'agit donc plus de donner des consignes, mais de se réorganiser avec des gens qui luttent car la mondialisation n'est pas l'homologation de tous les processus productifs du monde mais l'intégration-soumission à un commandement unique formé fondamentalement d'une dizaine d'Etats et de quelques centaines de multinationales. Il n'y a pas d'exportation du processus de crise du centre à la périphérie, autrement dit il n'y a pas de crise semblable dans les différentes régions de ce qu'a été le modèle post-fordiste. Chaque territoire devra donner ses propres réponses, mais il faudra quand même considérer l'économie-monde comme un tout, et en même temps les relations concrètes dans chaque lieu. La solidarité ne doit pas faire oublier l'autonomie des résistances. C'est dans cet espace que s'inscrit la nécessité absolue d'un réseau mondial. Il s'agit de découvrir les nouvelles formes du politique pour répondre fondamentalement aux problèmes du chômage, de l'exploitation et de l'oppression sous toutes ses formes. En ce sens, l'effondrement de tous les vieux partis ou autres structures de la vieille gauche ne doit pas être désespérant, mais doit être considéré comme un encouragement. Barcelone. Après le week-end à Madrid, à la fin de la manifestation qui a regroupé plus de 3'000 personnes, la délégation s'est rendue à Barcelone où 1'000 délégués l'attendait. Accueillie au centre Polideportivo de Saints, il est difficile de transmettre par des mots l'ambiance, l'ovation et la force dans les idées et dans la détermination qui se dégageaient dans cette rencontre. Ce millier de personnes venues du monde entier ont été logées dans des centres occupés par les mouvements squatters dirigés fondamentalement par les courants libertaires. Ellokal et la Casa de la solidaridad à côté des Ramblas servaient de locaux informatiques où une partie des textes de la rencontre étaient introduits au fur et à mesure que se développaient les débats. La conférence de presse s'est tenue le jour même dans le centre occupé à Hospitalet, la Vakeria. Les thèmes des débats étaient : E. J. Crema Intervention de la délégation du EZLN dans l'acte de clôture, lu par Dalia. "Compañeros , nous avons apporté nos paroles de très loin, la parole des peuples que nous sommes venus représenter. Nous avons eu une très grande joie à vous rencontrer et à vous entendre. Je suis très heureuse de vous connaître et de voir tellement de compañer@s qui luttent. Vous nous avez appuyés depuis le 1er janvier 1994 de diverses manières. Nous retournerons dans nos communautés en apportant vos paroles et tout ce que vous nous avez appris. Je suis contente de savoir que nous les zapatistes nous avons une maison ici en Europe. Je veux vous dire que vous avez aussi la vôtre dans nos communautés. Certains nous ont déjà rendu visite, d'autres non. Nous vous invitons à venir nous voir dans l'Etat du Chiapas, votre maison. Je tiens à vous remercier du fait que vous nous ayez appuyés dans le sens que le dialogue débouche sur une solution pacifique pour qu'il n'y ait pas d'effusions de sang. Avec votre force, compañeros, nous voyons que nous ne sommes pas seuls. Vous n'êtes pas seuls non plus, vous avez avec vous le coeur des indiens mexicains. Vous pouvez vous sentir contents et tranquilles. Ensemble, vous et nous, nous sommes bien. Nous continuerons à lutter pour forger un monde nouveau. Nous voulons vous demander de continuer, déterminés, à lutter ensemble. Nous voyons que vous et nous souffrons à cause des mêmes gouvernements qu'il y a dans le monde. Nous voyons que certains compañeros manquent de terres, de nourriture, de justice et de liberté. Nous voyons qu'ils ne sont pas reconnus en tant que travailleurs. Et que leur dignité n'est pas respectée. C'est pour cela que nos frères de El Indiano sont un exemple pour nous, car ils luttent pour leur dignité. Nous ne sommes séparés ni par les frontières ni par la mer. Nous, les peuples, nous résistons dans la guerre parce que nous sommes déterminés à le faire. Et pour résister, vous nous aidez par vos paroles et par vos appuis à construire des écoles pour nos enfants. Notre lutte est la lutte des hommes et des femmes de ce monde, et elle va triompher. Votre joie, votre grand engagement est la sécurité de notre raison. On aurait voulu comprendre encore mieux vos paroles, et le son courageux de vos pensées, compañer@s. Nous avons fait ce que nous avons pu, mais nous le faisons. Nous vous disons que nous les femmes nous luttons et nous résistons pour la dignité, pour que nous arrivions égales avec vous au respect, à la démocratie, à la liberté et à la justice. Vous avez fait une très belle fête de débats. Nous l'emportons dans notre coeur. Merci, compañeros. Bientôt nous nous reverrons dans le monde. C'est tout, compañeros. Bien à vous." Copyright © La Lettre Libre Tous droits réservés. La reproduction de ce qui est publié est consentie, à condition de citer la source et l’auteur, et soumise au droit d’auteur. |
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