Février 1996 Nº3

Ed. resp. : E. J. Crema

 

A la fin de l'année 1995 un film a sans doute remporté la palme de la nullité. Il s'agissait de "Traque sur Internet". On nous pardonnera de ne pas citer ni son auteur ni le nom des acteurs, les journaux à pub s'en chargent.

L'alternative était d'aller voir M. Jacques Roman interpréter Pasolini. Il a réussi à transformer son spectacle en un véritable moment de réflexion sur l'écrivain et cinéaste Italien, son oeuvre, et ses positions politiques et poétiques. Le public a été nombreux et enthousiaste, espérons que la gauche romande découvrira et discutera un jour les prises de position de Pasolini sur les courants politiques bourgeois et de la gauche dominante.

 

A lire absolument :

Le rapport sur l'extrême-droite en Suisse, livre de Urs Altermatt, professeur à l'Université de Fribourg et Hanspeter Kriesi, de l'Université de Genève, sur cet ensemble confus que forme le courant de l'extrême-droite en Suisse, ses organisations et sa radicalisation au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.

Dans la première partie, on nous présente l'ensemble des groupes et groupuscules qui s'organisent dès 1984 impunément en Suisse et en Europe, faisant référence ouvertement à l'ensemble des idéologies nationales-socialistes, racistes, fascistes, nazies. Les auteurs divisent ces courants en cinq types d'organisations : les fascistes traditionnels qui prennent modèle sur les leaders fascistes et nationaux-socialistes prônent l'idéologie raciste du national-socialisme. Les nouvelles droites intellectuelles eurocentristes qui propagent l'idée de l'inégalité naturelle des hommes, des peuples et des cultures. Les groupes nationaux révolutionnaires qui parlent d'une troisième voie entre le capitalisme et le communisme. Les Fronts qui se revendiquent des homologues suisses des années trente qui militent contre les immigrés pour leur "Suissité". Les négationistes qui s'appliquent par des publications et des campagnes de propagande à nier ou à minimiser les crimes nationaux-socialistes et racistes. Et enfin les skinheads, dont la partie militante s'exprime par un racisme agressif et violent.

Dans cette excellente étude, nous apprenons que la violence est un facteur essentiel dans leurs idées et dans leurs pratiques.

La violence d'extrême-droite a atteint son paroxysme en 1991 : meurtres, incendies criminels, attentats à l'explosif contre des foyers pour requérants d'asile, agressions physiques contre les demandeurs d'asile. La moitié pratiquement de tous les actes de violence commis entre 1984 et 1993 furent dirigés contre des requérants d'asile ou leurs lieux d'hébergement. Les agressions ont certes diminué de façon notable depuis 1991; il n'en demeure pas moins qu'en contrepartie le nombre des violences directes à l'endroit de personnes aura été plus élevé en 1993 qu'en 1991 ( page 105).

Dans la deuxième partie de cette étude, les auteurs montrent en se fondant sur dix cas les différents mécanismes qui conduisent ce courant à une radicalisation; il y est expliqué comment émerge la violence. De cette étude extrêmement rigoureuse, il se dégage trois axes pour mettre fin à la violence potentielle de l'extrême-droite. D'une part, une véritable politique doit être menée visant à éliminer le chômage, qui nourrit toute les angoisses et réveille tous les démons. Cette politique doit être accompagnée d'une explication rationnelle des phénomènes migratoires. Deuxièmement, il est important que le discours d'extrême-droite en général et les actes violents commis par ces groupes ne soient pas médiatisés sous une forme complaisante. Troisièmement, la répression doit rigoureusement être exercée par les autorités contre les auteurs d'actes xénophobes et violents. Ce qui implique une application réelle du dispositif juridique contre toutes les formes de discriminations.

 

ll Postino.

Ce film tourné en Italie par Michael Radford est un très beau moment de spectacle cinématographique. Noiret réussit une très bonne performance en incarnant Pablo Neruda, le poète Chilien décédé le lendemain du coup d'état de Pinochet au Chili. Dans une île aux couleurs paradisiaques de l'extrême sud de l'Italie au lendemain de la deuxième guerre mondiale, Neruda exilé rencontre un facteur qui lui demande ce qu'est la poésie, ce qu'est la métaphore, ce qu'est le vers, ce qu'est l'amour. Neruda répond à sa manière. Le "canto general" devient images. Ce film nous rappelle aussi la dureté de la lutte de classe dans l'Italie des années cinquante quand il suffisait d'écrire des poèmes pour un meeting communiste pour devenir la cible de la violence de la police. Difficile de dire si quelque chose a changé depuis ces années au Chili ou à l'extrême sud de l'Italie. Dans tous les cas ce film nous donne envie de nous poser ce genre de questions, et il nous invite aussi à ne pas laisser tomber dans l'oubli l'enchanteresse et combattante poésie de l'écrivain et poète chilien.

"La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour qu'on les voie, et elle les montre parfois comme si elles étaient présentes." Yukio Mishima, L'ange en décomposition.

"Prendre plaisir à faire le mal provient de ce que le mal n'est pas mûr." Texte bouddhique sur les fondements de la réalité.

Ces deux citations sont une introduction de l'excellent polar de Christian Gernigon intitulé "Le sang du dragon", paru dans la collection "Série noire" chez Gallimard en Octobre 1995.

Comme il est impossible de finir le mois de Février sans un bon policier, celui-ci est fortement conseillé. "Le méchant" s'appelle Ishida qui, enfermé dans son bunker au Japon, désire plus que tout laver le déshonneur de la guerre perdue, de la défaite face à l'Amérique. Pour cela, il monte un vaste trafic d'uranium en infiltrant les multinationales américaines du nucléaire à son profit. "Le bon" est un agent de la brigade financière américaine, ancien du Vietnam, brillant, tordu, ayant perdu sa femme japonaise lors du massacre à l'aréoport de Lod commis par l'armée rouge japonaise. Justement, "la brute" est un ancien de l'armée rouge japonaise, sanguinaire, ayant trahi ses idéaux de jeunesse pour se mettre au service de la nouvelle extrême-droite japonaise qui vise à la conquête du monde pour venger l'ancien empereur.

Il a construit chaque personnage de façon crédible; c'est vite lu même s'il y a 281 pages. La description de la société japonaise est intéressante, société marchande qui a la nostalgie de son passé, de son pouvoir, rêvant de le ressusciter sans tomber dans les mythes réactionnaires. Sont surtout extrêmement bien décrites les pratiques de ce que l'on peut appeler les loisirs au Japon qui se réduisent surtout pour les hommes à l'alcool, au Karaoké entre copains, au mythe des arts martiaux et surtout l'obsession du "comment faire du fric". Les tremblement de terre sont présents tout au long de l'histoire jusqu'à ce qu'il s'en produit un réellement à la fin. En parallèle, le rêve du personnage central du roman est aussi continu, c'est de rendre la divinité à son empereur. A voir le foisonnement des sectes, il est fort possible que l'avenir nous montre que ce rêve est partagé par d'autres au Japon. En tout cas, ce polar nous aidera dans la grisaille actuelle.

E. J. Crema

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