Espagne : de la crise économique à la crise politique ?

Au mois de juillet 2010, une partie des analystes économiques comparaient la situation de l’Espagne, d’une manière très alarmiste à celle de la Grèce, estimant que le déficit public était comparable. En réalité, ce déficit est inférieur. Le chiffre plus ou moins admis est de 11%.

Cet alarmisme de la presse internationale se fondait aussi sur le fait que les statistiques sur le taux de chômage semblaient indiquer que le seuil de 20% allait être dépassé. Parallèlement à l’apparition de ces données, le FMI émettait des communiqués destinés au gouvernement espagnol, lui demandant de remettre en question la « rigidité » de la loi sur le travail et insistant sur la nécessité de rendre plus compétitive l’économie.

En effet, la crise en Espagne est partie de la « bulle » immobilière pour s’étendre au secteur bancaire ainsi qu’aux Caisses d’Epargne et elle touche actuellement l’ensemble de l’économie par le manque de crédit dû à la raréfaction des liquidités. Face à cette situation, fin juillet, le gouvernement Zapatero a diagnostiqué que pour sortir de la crise, il faut attirer les capitaux étrangers et pour cela, il a entrepris immédiatement une très forte campagne médiatique pour expliquer que le secteur bancaire se porte bien, ou en tout cas il n’est pas plus faible que celui des autres pays de la zone Euro.

Le moment fort de cette démonstration a été le test de solvabilité des banques dont les résultats ont été donnés le 28 juillet 2010. Selon la majorité de la presse espagnole, ce test est positif. La City Bank a estimé que les caisses d’épargne sont le point faible d’un secteur bancaire qui reste fort ; la Banque Barclays a considéré que ce test était fiable, mais qu’il laisse des doutes sur la capitalisation de certaines entités bancaires. Pour sa part, l’United Bank of Switzerland (UBS) a commenté que les tests ne lèvent pas les doutes sur la Banque Espagnole, parce que les problèmes fondamentaux de l’économie n’ont pas « changés », tout en reconnaissant que la majorité des établissements bancaires ont réussi l’examen (Público, 27.07.2010).

Autrement dit,  l’UBS rejoint en quelque sorte la position du FMI qui ne cesse de réclamer des réformes qui modifieraient la loi sur le travail.

Le jour même, les deux syndicats majoritaires - l’Union Générale des Travailleurs et les Commissions Ouvrières - ont pris position en argumentant que puisque la situation effective des banques n’était pas si mauvaise, rien ne s’opposait à ce qu’un effort soit fait dans le domaine du crédit en faveur des entreprises en difficulté. Ces prises de position syndicale doublées d’un appel à la grève générale pour le 29 septembre 2010 par l’ensemble du mouvement syndical, n’ont pas empêché que le gouvernement procède à la réforme de la loi sur le travail le 30 juillet 2010.

Le président du gouvernement, J. L. Rodriguez Zapatero a admis que « cette réforme ne servira pas à créer des emplois » mais qu’ « elle vise fondamentalement à éviter des licenciements », tout en reconnaissant le jour même que le chômage touchait 20,09% de la population active, c’est-à-dire plus de 4'600'000 personnes sans emploi. Il déclara que « la modification de cette loi donne de la flexibilité aux entreprises pour que, face à des circonstances adverses, elles puissent prendre d’autres mesures sans avoir à recourir aux licenciements ».  Il a en même temps annoncé que les budgets 2011 seront restrictifs et austères afin de garantir la solvabilité de l’Etat (El Economista, 31.07.2010).

En réalité, cette nouvelle loi permet aux employeurs de licencier beaucoup plus facilement qu’avec la précédente, car elle introduit comme motif suffisant la baisse du profit et les difficultés financières et commerciales de l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle restreint considérablement les procédures administratives et baisse les coûts des licenciements, donc réduit la protection des salariés.

Dans les jours qui ont suivi ces mesures, les milieux économiques ont fait savoir que les marchés avaient récupéré une certaine stabilité et une certaine confiance, mais qu’une certaine prudence s’imposait.

En prenant ces mesures, le gouvernement Zapatero ne peut pas ignorer qu’il s’expose à une énorme perte de crédibilité auprès de l’électorat de gauche, la droite incarnée par le Parti Populaire (PP) reste totalement dans l’opposition et pratique dans les faits une véritable guerre médiatique, juridique, frôlant presque le sabotage. Il se paie le luxe de traiter le gouvernement comme étant un gouvernement qui exploite les travailleurs oubliant que c’est le gouvernement Aznar qui est à l’origine de la politique immobilière dans la décennie précédente. Actuellement, tous les sondages donnent le gouvernement fragilisé électoralement face à la droite ; le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), conscient du fait qu’il pourrait perdre les prochaines élections, ouvre un débat sur les candidatures pour les prochaines échéances. Des « fuites » laissent entendre que le parti serait prêt à ne plus présenter J. L. Rodriguez Zapatero aux prochaines élections ; autrement dit, pour avoir une chance de battre le PP, il faudrait un autre leader socialiste. Ce débat est devenu public ces derniers jours, mais il reste modéré. Lorsque les journalistes posent la question à M. Zapatero, il déclare qu’il refuse d’y répondre.

Gauche Unie (Izquierda Unida), de son côté, a dénoncé de ses maigres forces la réforme de la loi sur le travail, estimant que c’est l’attaque la plus dure contre les salariés depuis vingt ans.

La remise en question du statut de la Catalogne par la Cour Constitutionnelle, qui remet en question le mot Nation, a provoqué une énorme mobilisation en Catalogne contre cette décision et sans doute, met en danger le soutien des partis catalans au gouvernement qui, jusqu’à maintenant, faisaient des compromis avec le PSOE et avec le Roi. Cela ne laisse pas supposer une radicalisation mais plutôt une nouvelle phase de contradictions entre la Catalogne et le gouvernement central. L’interdiction de la corrida en Catalogne obtenue par les défenseurs des animaux n’est en aucun cas une attaque contre l’identité espagnole mais simplement la fin d’une pratique qui n’intéressait plus grand monde depuis longtemps.

Donc la question posée est : est-ce que la crise économique en Espagne débouchera sur une crise politique pouvant aiguiser les contradictions ? Le gouvernement devra affronter dans les prochains mois une série d’élections dans les autonomies qui permettront de vérifier le taux d’usure des forces gouvernementales, inévitable en cette période de crise européenne et mondiale.  Face à une droite qui se radicalise désespérant de reprendre le pouvoir, mais qui connait aussi une crise de leadership.

Le test le plus important sera la grève générale du 29 septembre car pour la première fois, le gouvernement socialiste se confrontera globalement aux salariés des secteurs public et privé, donc à une grande partie de son électorat et forcément à une partie de sa base militante. Ce qui créera des recompositions sans doute dans les forces syndicales fondamentalement à l’Union Générale des Travailleurs mais aussi au sein des Commissions Ouvrières. D’autant plus que l’armée de réserve que constituent les chômeurs ne tardera pas à exercer une pression insupportable sur l’ensemble des salariés. Des grèves dures et prolongées menées dans l’unité syndicale - telles que celle du métro de Madrid et celle des travailleurs des aéroports - annoncent un automne qui pourrait être chaud du point de vue social, mais qui se révèle déjà tragique pour des dizaines de milliers de travailleurs sud-américains, notamment d’Equateur, qui se verront obligés de quitter le pays ayant perdu tout espoir de retrouver prochainement du travail ; car même si le PIB a augmenté de 0,2% d’avril à juin 2010, la répercussion sur le taux de création d’emplois est trop faible pour que l’on puisse parler de résorption rapide de chômage.

 

E. J. Crema

 

Barcelone, le 6 août 2010

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