24 septembre 2010

La blessure de Messi

Dans les années 60, les enfants d’Argentine avaient rarement des ballons en cuir, mais chaque famille d’Argentine possédait sa radio pour écouter les matchs de football du dimanche après-midi. Personne n’échappait à ce rituel qui consistait soit, à aller au match voir et soutenir bien sûr l’équipe locale soit, si cela n’était pas possible, à l’écouter. C’est comme cela que chaque but des grands de l’époque faisaient naître chez chaque enfant l’envie d’être un jour plus grand, meilleur et plus connu que ceux qui dominaient à l’époque le football mondial, les brésiliens : Gilmar, Garrincha et l’étoile naissante, Pelé et ses compagnons.

C’est donc à travers le poste de radio que la magie de chaque but d’Artime « l’artilleur », Mas ou Sivori rendait la vie plus belle à chaque instant. La plupart rêvait de marquer des buts, le buteur, « el goleador », était l’idole par excellence. Les seuls concurrents dans la popularité étaient quelques géants, gardiens de but, tels que Carrizo de River Plate ou Roma du Boca Juniors. Ensuite vint Gatti. Et en ce temps-là, les autres joueurs aux autres postes n’atteignaient que rarement la popularité de ceux qui occupaient les deux extrêmes de l’équipe.

Ce n’est que plus tard que la presse décida de rendre tout aussi populaire les autres joueurs, surtout ceux qui construisaient les actions. C’est alors que le football européen remarqua un premier génie du football argentin, Omar Sivori qui devint une des grandes étoiles du football européen dans les rangs de la Juventus. Bien sûr, il y avait déjà eu Alfredo Di Stefano qui l’avait précédé au Real Madrid. Mais ceux qui construisaient la configuration médiatique de l’époque ne se sont rendus compte du format mondial de ces deux joueurs que tardivement. Aujourd’hui, une partie de la presse footballistique considère qu’Alfredo Di Stefano était l’égal de Pelé.

Depuis lors, les joueurs argentins jouent dans les clubs de tous les continents. On peut donc dire qu’une partie de ces enfants qui écoutaient les matchs à la radio ont en partie réalisé leurs rêves et dépassé leurs maîtres.

Le monde entier a pu voir les images d’un petit garçon qui déclarait, tout en jonglant avec un ballon, que quand il serait grand, il voudrait jouer dans l’équipe nationale d’Argentine et devenir champion du monde. Cette histoire, tout le monde la connaît, c’est celle de Diego Armando Maradona. Cet homme, aujourd’hui, est idolâtré par les uns et détesté par d’autres dans le monde entier. Il laisse peu de gens indifférents et même ceux qui le combattent, paradoxalement, n’arrêtent pas d’écrire sur lui ou de parler de lui.

Curieusement, peu de gens se rappellent que lorsque « el pibe de oro » jouait au F.C. Barcelone, dans la première partie de sa carrière, il y fut grièvement blessé et que c’est grâce à des chirurgiens hors pair qu’il a pu se rétablir. Cette blessure avait fait croire à beaucoup de gens à l’époque qu’il ne serait plus jamais à la hauteur de sa réputation. Il quitta le F.C. Barcelone et alla jouer au F.C. Séville.
Quelque temps après, en jouant au F.C. Naples, la presse mondiale reconnaissait en lui le meilleur joueur de football de l’époque. Puis son déclin, en tant que footballeur, nous a été largement décrit par la presse people mondiale. Mais pourquoi parler de cette blessure de Maradona ? Eh bien parce que Leonel Messi, avant du F.C. Barcelone, actuellement considéré par les spécialistes, peut-être comme le meilleur joueur de football du monde, argentin aussi, originaire de Rosario, Province de Santa Fe, vient d’être aussi blessé lors d’un affrontement d’une rare violence.

Bien sûr cela n’est qu’une pure coïncidence et selon les médecins sportifs, la blessure serait légère. Il est vraisemblable que dans quelques semaines il jouera à nouveau. Néanmoins, cela rappelle que le football, malgré son siècle et demi d’existence et de codification, reste un sport très violent. Sans doute cette violence que nous voyons aujourd’hui en direct à la télévision a une fonction sociale, comme les matchs de boxe d’ailleurs, ou de free-faiting. Mais il n’est pas question que nous nous habituions ou que nous regardions ces images comme les Grecs ou les Romains regardaient les gladiateurs. Si la blessure de Leonel Messi fait couler tellement d’encre, ce n’est pas seulement parce qu’il est un artiste du ballon, millionnaire, mais aussi parce que c’est un « gentil », sur le terrain, dans un monde martial. Face à cela, on voudrait que le football reste à l’image de ce qu’il était dans les années 50–60, avant qu’il soit mondialement télévisé et que nous voyons les blessures en direct, quelque chose qui continue malgré le fric à faire rêver.

Enrique J. Crema

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