Novembre 1995 Nº2

Ed. resp. : E. J. Crema

 

La fleur de mon secret, d'Almodovar

Ce dernier film de l'auteur espagnol se rapproche d'une certaine manière d'un thème déjà traité dans les précédents : la souffrance amoureuse. Il raconte les vicissitudes d'un couple où les agressions, le dépit et le mépris ont remplacé peu à peu l'illusion et la passion. De prime abord, on pourrait penser qu'Almodovar obsédé par la passion féminine devrait commencer à lasser son public. En réalité, il approfondit le sujet et arrive au fil de ses films et surtout dans celui-ci à rendre ses personnages féminins de plus en plus crédibles. Les hommes sont toujours aussi caricaturés, mais il est évident qu'ils sont tirés de personnages bien réels. Le rythme des images, leurs couleurs fortes, le jeu à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma des acteurs, rendent cette production agréable. En allant voir Almodovar, nous savons tous que nous nous plongeons dans un univers de roman à l'eau de rose, de roman de gare, de soi-disant littérature de bonne femme, voire même de sous-littérature comme le pensent la plupart d'auteurs et critiques "sérieux". Le succès de ce film doit nous interroger : comment expliquer que l'on se sente concernés à ce point par le thème éternel de l'amour si nous ne vivions une fin de siècle dans laquelle celui-ci semble devenir une denrée rare pour adolescents pudiques. Les personnages d'Almodovar plaisent, nous touchent, nous interpellent parce qu'ils nous font rire parfois. C'est cela qui rend le questionnement possible. Dans chaque note tragique il y a une graine d'humour féroce, sardonique, voire même cruel mais ô combien revigorant. A voir pour commencer l'hiver.

Dans un tout autre registre, Waterworld, avec l'éternel Kevin Costner, qui nous est annoncé comme étant le film le plus cher de l'histoire du cinéma, chose de toute manière invérifiable, nous sommes dans la science fiction. Les pôles ont fondu, suite au réchauffement de la planète, les eaux ont recouvert la terre. La terre n'est plus qu'une boule d'eau. Dans ce nouveau paradigme, les populations marines s'affrontent sans merci pour survivre. D'un côté les bons qui pensent plutôt à faire du commerce même avec leurs jeunes enfants, adolescentes surtout; de l'autre les méchants guerriers. Mais les deux camps obsédés par la même recherche d'un enfant qui porterait tatouée sur son dos la carte permettant de retrouver Dryland, c'est-à-dire un bout de terre qui aurait échappé à l'invasion des eaux. Entre les deux camps, le héros est Kevin homme aux oreilles et au système respiratoire de poisson. Le cinéma américain nous a habitué au thème du surhomme, mais en l'occurence le mutant remplace le surhomme. Le visage de Costner incarnant, un film après l'autre, le sauveur dans des mondes désespérés devient peu à peu banal. Cependant, il faut reconnaître que les scènes où des milliers de figurants glissent sur les eaux et s'affrontent à coup de toutes sortes d'armes pas très sophistiquées peuvent nous amuser. Sans plus. L'enfant est de loin le personnage le plus intéressant du film. Cette petite fille, seule rescapée de Dryland qui existe finalement et que l'homme-poisson trouve à la fin pour le bonheur de nous tous, par son jeu destabilise le monde factice des adultes en proie à un univers qui aurait perdu tout son sens. Ce film à voir parce qu'il nous fait, néanmoins, à travers un scénario catastrophe, réfléchir aux destinées de la boule terrestre, peut être considéré comme un bon film d'aventures à voir sans trop d'espoir.

 

Le cinéma et Trotsky."Le désir de se distraire, de se divertir, de s'amuser et de rire est un désir légitime de la nature humaine. Nous pouvons et nous devons lui donner des satisfactions toujours plus artistiques, et en même temps nous devons faire du divertissement un instrument d'éducation collective sans contrainte ni dirigisme importuns. Actuellement, dans ce domaine, le cinématographe représente un instrument qui surpasse de loin tous les autres. Cette étonnante invention a pénétré la vie de l'humanité avec une rapidité encore jamais vue dans le passé. Dans les villes capitalistes, le cinématographe fait maintenant partie intégrante de la vie quotidienne, au même titre que les bains publics, les débits de boisson, l'église et les autres institutions nécessaires, louables ou non. La passion pour le cinématographe est dictée par le désir de se divertir, de voir quelque chose de nouveau, d'inconnu, de rire et même de pleurer, non pas sur ses propres malheurs, mais sur ceux des autres. Toutes ces exigences sont satisfaites au cinéma de la façon la plus directe, la plus spectaculaire, la plus imagée, la plus vivante, sans que l'on n'exige rien du spectateur, pas même la culture la plus élémentaire. D'où cet amour reconnaissant du spectateur pour le cinématographe, source intarissable d'impression et de sensations.". Trotsky, "Les questions du mode de vie", p. 68-69, Collection 10/18.

 

la cérémonie, film où l'on voit la haine à l'état pur qui peut exploser lorsque les riches cyniques et dérisoires se leurrent en niant l'existence de la misère et de l'ignorance. L'histoire de deux jeunes femmes abruties par toutes les formes d'aliénation, qui tuent les riches du village sans aucun autre motif que celui de s'être senties méprisées. Ce film choque certains par sa violence crue, par son manque d'explications psychologiques des agissements des meurtrières. D'autres y ont vu une sorte d'allégorie de la défaite de la culture progressiste et l'irruption de la barbarie. Au-delà des interprétations, ce film est à voir car il nous interroge sur les relations qu'engendre la société marchande entre parents et enfants, hommes et femmes, riches et pauvres; la mise en scène de la barbarie et de la violence ne montre pas forcément une issue à ces situations de faits. Claude Chabrol laisse transparaître ses inquiétudes mais n'explique rien. Ce film est à voir et à revoir.

 

Dolorès Claiborne est un film de Taylor Hackford tiré d'un roman de Stephen King. Une jeune femme rentre dans son village natal dans l'espoir de sauver sa mère accusée d'avoir assassiné sa patronne mais aussi pour tenter d'éclaircir le drame familial qui l'habite depuis son enfance. Quelle est la part de responsabilités de sa mère dans la mort de son père ? Ce thème difficile, traité avec une certaine pudeur, est illustré sous une forme policière dans un suspens extrême. Par certains aspects, l'intensité des émotions et l'enchevêtrement des sensations angoissantes nous rappelle Hitchcock. Film noir, dur, mais qui réussit à poser le problème de l'inceste et à le traiter sans trop de complaisance. Film risqué car parfois ambigu sur la question de l'assassinat. En effet, est-il légitime que la justice s'exerce à l'intérieur de la famille parce que le crime est abominable? L'auteur préfère ne pas s'appesantir sur le sujet.

 

Anthony Quinn est excellent dans le rôle du grand-père de la jeune Victoria, enceinte mais sans mari, dans le film de l'auteur Argentin vivant aux Etats-Unis Alfonso Arau, Les Vendanges de feu. Ce film s'apparente par le style au cinéma Mexicain classique d'avant-guerre. Le sujet du père déshonnoré est traité d'une manière moins dramatique qu'à l'habituel. Et la fable de la famille Chicano vivant du vignoble qui intègre non sans difficultés le gringo exclu et abandonné par les siens devient plaisante. L'océan de bons sentiments pourrait rendre ce film ennuyeux mais le rythme soutenu, la beauté de Napa et la séduisante Aïtana Sanchez-Gijon nous captivent jusqu'au bout. Film à voir avec des yeux naïfs. Mais sans ignorer que c'est une contribution de plus au développement d'un cinéma Chicano, fait culturel fondamental dans les Etats-Unis d'aujourd'hui.

E. J. Crema

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