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Espagne : Democracia real ya
Par Enrique Juan Crema
Alors que les gros moyens de communication annoncent depuis plusieurs mois que l’économie espagnole devrait être prochainement dans une situation comparable à la Grèce ou au Portugal, et que par conséquent l’Union Européenne devrait intervenir financièrement pour assurer des liquidités à l’Etat espagnol - comme elle le fait en Grèce et au Portugal - c’est autre chose qui nous est annoncé par les places des villes espagnoles.
Depuis cinq jours, un mouvement de concentration de dizaines de milliers de citoyens, qui se rassemblent pour le moment dans toutes les grandes villes du pays, se mobilisent contre le plan d’austérité du gouvernement et aussi déjà contre les éventuels plans de rigueur plus ou moins énoncés par les dirigeants de l’Union Européenne et du FMI.
Ce mouvement pacifique spontané se structure autour de mots d’ordre tels que : « démocratie véritable, immédiatement », « nous ne sommes pas forcément contre le système, c’est le système qui est contre nous » et surtout « indignons-nous, changeons tout ».
Dans la nuit du 19 mai 2011, par un décret lié au fait que le dimanche 21 se déroulent des élections, le gouvernement a tenté d’interdire ce mouvement. Le seul effet que cette interdiction a eu est que dans la nuit, le mouvement qui a commencé à Madrid et Barcelone a connu un effet multiplicateur et des centaines d’autres places, d’autres villes comme Valence, Grenade, Séville, Jaén, ont vu des milliers de personnes dresser des tentes pour passer la nuit en guise de protestation.
Aujourd’hui, samedi 21 mai 2011, ces centaines de milliers de personnes, un sparadrap sur la bouche pour signifier le refus de l’interdiction gouvernementale, appellent l’ensemble du pays à la « journée de réflexion ».
Ce mouvement qui a commencé le 15 mai 2011 s’est auto-proclamé « Les indignés ». A Barcelone, « l’Agora ». L’épicentre est la place de la Puerta del Sol de Madrid, dans cet espace, les propositions et les débats sont permanents. C’est un lieu de résistance pacifique et qui est en train de devenir d’ores et déjà le moteur d’un mouvement qui va bien au-delà de l’Etat Espagnol. Car des centaines de citoyens espagnols et amis se mobilisent aujourd’hui sur les mêmes mots d’ordre à Londres, Bruxelles, Paris, Rome, Buenos Aires, Tokyo, Bilbao ainsi qu’au Mexique, en Equateur et au Costa-Rica. Depuis la Rédaction de « La Lettre Libre » au mois d’août 2010, nous avions pensé que les mobilisations du peuple travailleur grec annonçaient des résistances massives aux plans d’austérité imposés par le monde de la finance. Depuis, nous avons vu les soulèvements des peuples arabes, de la Tunisie à la Syrie en passant par l’Egypte, la guerre civile libyenne et nous constatons que ce mouvement de rébellion continue à s’étendre, qu’il touche l’ensemble des Etats méditerranéens et influence déjà l’Amérique latine.
Sur la Puerta del Sol, couverte de pancartes de toutes les couleurs, une pancarte dit « Madrid sera le tombeau du néo-libéralisme. No passarán ».
Le mouvement d’ores et déjà s’est interdit de lancer une quelconque consigne de vote pour les élections de ce week-end, étant clairement en opposition aux deux grands partis, le Parti Populaire et le Parti Socialiste Espagnol, car Les Indignés, ils et elles s’affirment indépendants de tous les partis actuellement constitués. Face à une éventuelle charge de police, le mouvement appelle à la résistance passive et à respecter toutes les opinions et surtout, à ne pas amener d’alcool dans le mouvement. Afin de signifier que la voie du peuple n’est jamais illégale, depuis minuit moins cinq, ils portent tous un sparadrap sur la bouche et appellent cela « el grito mudo de los indignados », le cri muet des indignés. En même temps que l’auto-organisation des débats se développe l’auto-organisation des repas et même du repos. Une des consignes est « organise-toi et repose-toi car ta fatigue les avantage ». Une partie du mouvement organise déjà le lendemain de l’élection, le 23 mai. Car ils sont conscients que le résultat des élections sera un moment clef pour connaître la suite du mouvement. Certains parlent déjà de cultiver dans les jardins publics et d’improviser des cuisines solaires. Sur d’autres pancartes on peut lire « le changement commence par soi-même » ou encore cette phrase d’Emma Goldmann « si je ne peux pas danser, celle-ci n’est pas ma révolution ». En parallèle, le recours contre l’interdiction de ces rassemblements pendant le week-end introduit par Izquierda Unida a été rejeté et pour le moment le gouvernement a donné l’ordre à la police de ne pas intervenir, sauf si la violence venait à éclater. La première conclusion politique que l’on peut tirer de ce mouvement est que la classe politique dominante est de plus en plus délégitimée et qu’il sera extrêmement difficile aux deux partis majoritaires de gouverner sans tenir compte des revendications de ce mouvement fondamentalement jeune mais très articulé au peuple travailleur de l’Etat.
Lausanne, le 21 mai 2011
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