Deux jours à la rencontre internationale de l’anarchisme, St-Imier (Suisse), 2012

Par Gaucho

Dès le 8 août 2012, plusieurs courants du monde anarchiste ou libertaire se sont retrouvés à St-Imier, en Suisse. Le correspondant de La Lettre Libre a pu participer à deux de ces journées, celle de mercredi 8 août et celle de vendredi 10 août. Mercredi matin, le centre névralgique du village était l’Espace Noir, centre social autogéré par un groupe militant local regroupant différentes sensibilités, Fédération des Franches Montagnes, Fédération Jurassienne, Organisation Socialiste Libertaire et d’autres. Dès ce matin-là s’est réuni l’atelier « anarcho-féminisme » dans lequel immédiatement a été discuté la nécessité d’un espace sécurisé pour les femmes au camping pour toute la durée de la rencontre, ce qui fut fait de suite. L’ambiance était calme et relaxée ; le débat a commencé sur la question de la violence masculine contre les femmes dans la société. Une fois ce problème abordé, certaines participantes ont demandé qu’un positionnement très clair de dénonciation contre la violence masculine contre les femmes dans nos sociétés ne soit pas noyé dans une dénonciation de la violence en général. Une majorité s’est clairement dégagée dans ce sens. Dès le lendemain, cette dynamique s’est développée et s’est concrétisée par la décision de transformer ce groupe en structure non-mixte, cette forme d’auto-organisation est adoptée par souci d’affirmer tous les aspects des luttes à mener contre le patriarcat par les femmes elles-mêmes. Sur cette base, elles se sont réunies tous les jours à 11h. à la salle de spectacles jusqu’à dimanche. Dès le début de l’atelier, la Fédération Anarchiste française avait présenté une résolution qui a servi à cadrer les débats sur ce thème. Dans les différentes résolutions finales, l’engagement pour la lutte contre le patriarcat et pour une société égalitaire est resté l’objectif prioritaire.
Par ailleurs, la présence de militants espagnols de divers courants était assez forte dès le début de la rencontre, venant de plusieurs régions, Madrid, Barcelone, Burgos, Andalousie. Les discussions portaient sur les liens entre les différents courants anarchistes, anarcho-syndicalistes, syndicalistes révolutionnaires, ou auto-gestionnaires d’une part et les différents courants des Indignés de l’autre. Certains se revendiquant de ce mouvement, d’autres se distançant avec précaution. Ce même mercredi après-midi, l’atelier sur le thème du syndicalisme fut particulièrement riche en témoignages de luttes syndicales qui se déroulent actuellement de par le monde et en Europe ; ont pris la parole devant près de 250 personnes des délégués de la CGT, CNT-AIT, Solidaridad Obrera, FAT, FTE-CNT (Espagne), de l’USI de Milan, Rome et Lazio (Italie), de SUD-Vaud et SAIP (Suisse), du groupe syndical de la revue « La Cruz Negra » (Mexique), de l’UDC Syndicat des chômeurs diplômés (Tunisie) et d’autres militants du syndicalisme de base du Brésil, Argentine, France, Grèce, Suisse. Il s’est dégagé au fil des témoignages une volonté très claire de construire des structures démocratiques dans les entreprises et un fort engagement dans les luttes contre les licenciements, l’austérité, contre les délocalisations et surtout contre la répression syndicale. A la fin du débat de cet atelier, une résolution a été proposée par un groupe italien, synthétisant ces positions ; les échanges ont continué dans les autres ateliers les jours suivants. L’émotion était forte dans cet atelier, l’engagement était entier. Cet atelier se conclut sous le mot d’ordre crié à pleine voix par l’ensemble de l’assemblée « construire des syndicats de lutte, vive le syndicalisme révolutionnaire ».
Il serait exagéré de parler d’émergence d’une coordination internationale syndicale combative ou même d’un embryon de structuration internationale suite à cette rencontre syndicale, mais ce serait absurde de ne pas voir que ces contacts entre les différentes organisations commencent à être réels et qu’il y a une évidente recherche de points en commun ou de commun dénominateur dans l’action syndicale et un véritable élan de solidarité internationale. Ceci d’autant plus, que si certains ont affirmé une volonté d’autonomie totale vis-à-vis des centrales syndicales majoritaires dans leurs pays respectifs, d’autres ont manifesté très clairement leur volonté d’unité d’action avec les syndicats dits « de participation », notamment sur la question des restructurations d’entreprises et contre les licenciements en découlant. Cet atelier a été animé d’une manière unitaire et démocratique par un militant de l’OSL-Vaud qui a aussi assuré des traductions de qualité.
Le soir, dans la grande salle de spectacles réunissant une majorité des participants de la journée, une militante a d’abord présenté une résolution contre le sexisme, l’anti-patriarcat et le féminisme, suivi par un exposé historique d’un militant. Cet orateur a rappelé qu’en 1872 en ce lieu s’est tenu le 1er Congrès libertaire qui a donné naissance, après l’éclatement de la 1ère Internationale, à un mouvement autonome parmi les ouvriers horlogers du Jura. Groupe qui revendiquait son identité face aux patrons et aux gouvernements, refusait le centralisme et la bureaucratie dans l’organisation ouvrière et refusait de se faire exclure de l’AIT. Ce courant encore aujourd’hui est souvent appelé le courant international anti-autoritaire de Bakounine.
Quelques heures après commençait le 9ème Congrès de l’Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA). En parallèle, les gens continuaient à affluer de partout et le camping se remplissait. Tous les étages de l’Espace Noir étaient plein de monde cherchant à parler, échanger, participer. Un millier de personnes a participé à cette rencontre dès ce premier jour.
Le vendredi 10 août 2012, l’enthousiasme et le dynamisme avaient encore augmenté, même si on commençait à sentir une certaine fatigue chez les initiants, car les ateliers avaient été nombreux jeudi aussi toute la journée, notamment contre la répression policière et patronale, sur la crise économique et sociale, les luttes urbaines, rurales et le développement des mouvements sociaux en Amérique latine. L’atelier animé par l’OCL sur les luttes de libération nationale a mis en évidence la difficulté actuelle à relier les mouvements qui se déroulent en Europe avec les luttes qui se développent ailleurs, surtout en Amérique latine et dans le monde arabe. Un argument qui revenait souvent pour expliquer cette difficulté s’explique sans doute par le manque d’information directe, ce qui empêche de comprendre réellement la véritable nature des différents mouvements ainsi que leurs objectifs. Ces luttes en cours et leurs revendications étant difficilement transposables dans les situations des métropoles européennes. Là aussi, la réflexion fut calme et sérieuse et les très jeunes participants étaient très motivés pour comprendre et pour chercher des alternatives aux formes actuelles d’oppression ainsi que pour inventer de nouvelles formes de solidarité. L’après-midi, le CGA a animé un autre atelier portant sur la dénonciation des politiques d’immigration du gouvernement français, la question de la solidarité avec les sans-papiers et les Roms a été abordée sous forme de questionnement sur ce qui est possible comme pratique solidaire avec ces secteurs particulièrement fragilisés et opprimés. Une forte dénonciation des politiques des gouvernements actuels faisait l’unanimité. Des engagements ont été pris visant à développer des mouvements de solidarité avec les migrants.
A la salle de spectacles se déroulait, ce même après-midi, la table ronde « Faire l’Anarchisme aujourd’hui ». Une première intervention d’un militant de l’OSL-Vaud insistait sur le fait que les militants libertaires se doivent, dans la période actuelle, d’apporter de toute leur énergie un soutien sous toutes les formes possible à toutes les luttes en cours. Qu’elles soient sociales, syndicales, urbaines ou internationalistes, le savoir-faire militant accumulé par certains doit se mettre à la disposition des personnes vivant sur eux les contradictions du système économique, que cela soit dans l’entreprise ou hors de l’entreprise. Le représentant de la FA de France a centré son intervention sur la nécessité de l’auto-organisation dans tous les domaines de la vie économique et sociale dans les conflits de classe, de manière à construire des réponses qui débouchent sur des alternatives concrètes aux problèmes des gens. Il a pris comme exemple des expériences d’auto-suffisance alimentaire actuellement développées dans certaines régions de la Grèce. Ces deux premiers intervenants ont fortement proclamé leur appartenance au courant de l’anarchisme social et ont insisté sur la nécessité de parvenir à une société auto-instituée par un développement social et économique d’en bas, où les luttes doivent être cohérentes entre fins et moyens. Donc, ils sont porteurs d’un projet socialiste de gestion directe et de changement social. Le délégué anglais du mouvement « Occupy » a insisté sur la nécessité d’assumer les conflits contre toutes les institutions qui incarnent le système d’exploitation économique actuel et il encourageait les représentants du mouvement des Indignés espagnols présents dans la salle à expliquer dans les détails les formes d’auto-organisation utilisées dans un mouvement aussi large. Il invitait los Indignados à resserrer les liens avec les mouvements anti-libéraux qui se déroulent en Angleterre et aux Etats-Unis. Il mettait en avant la nécessité d’une certaine centralisation par la méthode de la comparaison entre les différentes expériences en cours dans le but d’obtenir un renforcement et un élargissement des mouvements.
Ensuite, une militante italienne a provoqué un certain remous dans la salle. Cette représentante du mouvement contre le train à grande vitesse Turin-Lyon (TAV) estimait que les conférenciers qui venaient de s’exprimer n’étaient pas suffisamment radicaux dans leurs déclarations à l’égard des institutions politiques existantes et ne dénonçaient pas suffisamment la capacité de celles-ci à récupérer les mouvements antagonistes. Cet atelier s’est conclu par la volonté et l’engagement des présents de développer aussi des mobilisations contre les mouvements d’extrême-droite qui émergent actuellement.
Ensuite, nous avons pu récolter avec beaucoup d’attention différents exemplaires de revues telles que Le monde libertaire, hebdomadaire de la FA , Rebellion, revue de l’OSL-Vaud , particulièrement intéressant le numéro spécial sur « Besoins et désirs de révolution », le journal de la CNT, organe de la CNT Espagnole et la revue Offensive du groupe OLS . A remarquer, une brochure « Réponses anarchistes aux politiques d’immigration » réalisée par la CGA [email protected] .
Dimanche, des groupes ont continué à se réunir pour parler de la pédagogie dans la tradition libertaire, de la crise mondiale et de la société marchande, des politiques de santé à l’épreuve des inégalités sociales, des espaces autonomes au Brésil, Portugal, pendant que d’autres écoutaient des chants anarchistes italiens. Les correspondants de La Lettre Libre ont écouté tout l’après-midi la radio libertaire 89.4 MHZ, sur laquelle se déroulait une tentative de bilan et de synthèse, avec aussi des interviews extrêmement intéressants de militants chiliens, croates, français et d’autres nationalités, tout cela entrecoupé de belles chansons. On notait qu’une certaine déception perçait dans ce débat sur le bilan chez certains militants francophones qui regrettaient l’impossibilité d’aboutir à une résolution commune entre tous les courants organisés, dont l’IFA, Anarkismo et certains groupes italiens. Par contre, tous concluaient au succès de cette rencontre internationale, vu la qualité des débats, la convivialité tout le temps présente, la constante amabilité des uns et des autres ; tous saluaient la grande capacité d’organisation des groupes suisses qui ont assuré la rencontre. La majorité des participants a affirmé une claire volonté de continuer à se coordonner d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre et à débattre en Suisse comme ailleurs, même avec d’autres courants politiques appelés par certains « la gauche de concertation ». Ce fut en tous les cas un grand moment de réflexion collective et d’affirmation de ne pas se laisser détruire par les guerres, les conflits, les crises économiques, l’injustice sociale et la pauvreté engendrés par le néo-libéralisme et le capitalisme sauvage qui domine le monde actuellement.

17 août 2012


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