Mars-Avril 1996 Nº4-5

Ed. resp. : E. J. Crema

 

Démission de M. Veillon, c'est l'événement du moment, néanmoins dans un contexte où le chômage augmente, où le plan Orchidée passe, où la conjoncture économique est mauvaise, il est difficile de croire que cette démission qui s'imposait change quelque chose. Les journaux ont abondamment insisté sur les sondages qui montrent qu'une très large fraction de la population ayant des opinions politiques estime cette démission insuffisante, et souhaiterait d'autres démissions, voire même celle de la totalité du Conseil d'Etat. Il est évident que le remplacement de certains membres voire de la totalité du Conseil d'Etat serait une bonne chose. Néanmoins, même si la gauche devenait majoritaire, les problèmes ne seraient pas résolus de façon miraculeuse. En effet, l'arrivée d'un popiste au Conseil d'Etat serait déjà un petit changement positif dans la crise politique vaudoise. Cependant, fondamentalement, la dynamique resterait la même, car il n'y a pas aujourd'hui un accord politique syndical et associatif suffisamment large de l'ensemble de la gauche vaudoise, c'est-à-dire du GPE aux militants syndicalistes, solidaritéS et OSL comprises, un accord politique sur les problèmes essentiels capable de mobiliser, d'entraîner les travailleurs suisses et immigrés dans une forte dynamique de changements. Il ne s'agit donc pas de faire la fine bouche à la possibilité qui s'offre de minoriser la droite au Conseil d'Etat. Il faut tout faire pour que cela devienne une réalité, mais il faut rester lucide et préparer un grand accord de la gauche autour notamment des combats contre la pauvreté, du chômage et des discriminations. Ne pas oublier qu'un tiers de la population vaudoise est privée de tous droits politiques et qu'une autre partie de plus en plus grande est privée d'emploi. A partir de là, si cet accord se faisait, une nouvelle dynamique pourrait voir le jour. Souhaitons-le et faisons le nécessaire pour que cela se fasse.

Cinéma

Heat. C'est un film de Michael Mann avec Robert de Niro et Al Pacino. Ces deux acteurs qui se sont spécialisés dans des rôles d'hommes virils, durs, souvent marqués par un sort désespéré, au destin noir, se retrouvent pour la première fois ensemble à l'écran après des carrières parallèles. L'un incarne un rescapé de Quartier de Haute Sécurité destiné à devenir un braqueur parfait pour ne pas retourner en prison; l'autre, survivant d'une longue carrière de flic à l'antigang, est condamné à traquer les voyous et à donner un sens à une vie privée chaotique. L'histoire est bien construite, le flic et le voyou se respectent et se craignent en même temps, sachant qu'ils ne se feront pas de cadeaux. Ils n'ont pas la moindre illusion sur la société dans laquelle ils vivent. Pour l'un comme pour l'autre il s'agit tout simplement de survivre en faisant ce qu'ils savent faire de mieux. Les deux sont entourés de gens dont ils sont des référents. Ils assument pleinement le rôle que la famille à l'un et la bande à l'autre leur assignent. Cependant, l'un et l'autre savent que leurs destins se croisent et que l'un ou l'autre doit perdre. L'enjeu est total; l'affrontement le sera aussi. Il y a deux moments forts dans le film, le hold-up qui donne lieu à un affrontement armé en pleine rue de Los Angeles d'une longueur, et d'une violence d'un réalisme qui rappelle par certains aspects "La horde sauvage", film mythique de Sam Peckinpah. L'autre scène originale est la fin car le spectateur sait que l'un des deux va mourir mais au moment où le policier exécute le tueur on comprend que le tueur voulait cela, alors un trait de lumière d'un millième de seconde tranche pour eux. Le policier nous tourne le dos, le spectateur saisit qu'il n'y a pas de gagnant dans ce jeu-là, du moins pas vraiment. Ce film n'est pas un banal film policier psychologique avec quelques grands moments d'actions. Il y a en filigrane à plusieurs reprises une dénonciation illustrée des Hauts Quartiers de Sécurité. On nous montre quel type de délinquant forgent ces méthodes d'emprisonnement aujourd'hui généralisées dans les sociétés hautement industrialisées.

 

Woody Allen nous donne l'occasion de rire avec son dernier film Maudite Aphrodite. Il met en scène d'une manière très originale l'histoire d'un couple qui adopte un enfant . Arrive le moment où le couple entre en crise par l'ambition de l'épouse, celle-ci tentant de trouver des capitaux pour monter sa galerie d'art succombe au charme du capitaliste de service. Le mari, lui, se morfond de la trahison de sa femme mais aussi parce qu'il se demande si leur enfant devenu majeur voudra revoir la mère qui l'a donné en adoption, décide alors de retrouver celle-ci. La rencontre est haute en couleur, cette dernière étant une prostituée. Le mari jouant les assistants sociaux amateurs veut remettre cette femme dans le droit chemin et même la marier. Sans succès, car la mère de son enfant a un mode de vie dont les tenants et les aboutissants lui échappent totalement. Le tout est entrecoupé d'une nouvelle version d'Oedipe Roi mise au point par le cinéaste. Woody Allen traite le sujet de l'adoption sur un ton comique, le résultat n'est pas plus mauvais que celui d'autres films où ce même sujet est dramatisé. Film léger donc, mais plus sérieux qu'il en a l'air. Le mérite est peut-être celui de tourner en dérision des films tels que Pretty Women, où la vie d'une prostituée était présentée avec une légèreté stupéfiante. Dans Maudite Aphrodite on passe du rire à une certaine réalité avec les nuances nécessaires pour rendre le film intelligent. Et par ailleurs Woody Allen réussit tout en restant toujours le même à être dans le personnage du mari attendrissant et comique à la fois, ce qui n'est pas rien si l'on se rappelle les péripéties de sa vie familiale récente. Film donc frivole mais de loin pas ridicule.

 

Argentine.

Le 24 mars 1974 le général Videla prenait le pouvoir et instaurait une dictature sanguinaire pour défendre le capitalisme. Dans les jours qui suivirent il obtint des crédits de la plupart des Etats industrialisés et "démocratiquement" avancés. Le bilan de cette dictature peut se résumer en une phrase : faillite économique, politique, sociale et morale du pays et 30'000 disparus. Menem président démocratiquement élu depuis, à deux reprises, afin de réussir la réconciliation nationale décrète une amnistie, El punto final, dans laquelle il met à pied d'égalité les militaires-bourreaux et les guerrilleros-victimes qui avaient courageusement pris les armes pour défendre les libertés fondamentales et l'espoir de changement. 24 mars 1996, 30'000 personnes manifestent à l'appel des Folles de Mai (mères des disparus) et de la gauche pour rappeler au président qu'il est immoral et non-démocratique que les assassins Videla, Viola, Massera, Aztis, et des milliers d'autres à leurs ordres soient en liberté.

Pendant que la mobilisation se préparait, les journalistes suisses et européens spécialistes du sujet pour la presse "sérieuse" se passionnaient pour la redécouverte d'Eva Peron par un anglais de passage qui souhaite le faire revivre par une zombie new-yorkaise.

E. J. Crema

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